La passion d'Anja Linder
Tétraplégique à la suite de l’accident du parc de Pourtalès, en 2001, la Strasbourgeoise Anja Linder joue depuis 2006 d’une harpe électro-pneumatique. Un modèle unique au monde qui lui permet de continuer sa passion.
Le visage illuminé d’une passion à jamais intacte, Anja Linder effleure de ses doigts les cordes de sa harpe comme autant de caresses à la vie. Prometteuse harpiste pleine de talent (*), la jeune musicienne alors âgée de 26 ans voit sa vie basculer dans la soirée du 6 juillet 2001, alors qu’elle écoute un concert dans le parc de Pourtalès, au nord de Strasbourg.
Victime de la chute d’un platane à la suite d’un violent orage, celle qui venait de décrocher six mois plus tôt un poste de professeur de harpe à Berne, en Suisse, perd l’usage de ses jambes et vit avec une tige métallique de 42 cm implantée dans la colonne vertébrale.
"L’accident est arrivé au mauvais moment, se souvient la détentrice d’une licence de Lettres modernes. Je commençais à être connue [dans le milieu musical, ndlr ], mais j’avais encore tout à prouver."
Poursuivre la musique
Après deux années de rééducation dans "l’univers cru et déprimant"de l’hôpital, l’espoir de faire corps avec son instrument renaît. En 2004, Jean-Marie Panterne, directeur de l’Instrumentarium-Salvi, projette de lui confectionner une harpe adaptée à son handicap. "Je n’arrivais pas à faire le deuil de la musique. Je ne pouvais déjà plus marcher. Il m’était impossible de ne plus jouer d’un instrument. J’ai donc mis toute mon énergie dans ce projet", avoue l’artiste.
Avec le concours d’un ingénieur et d’un informaticien, ils mettent au point la "Anjamatique", une harpe électro-pneumatique équipée d’un bloc de commande automatique géré avec une seule pédale (au lieu des sept habituelles). Sur ce modèle unique au monde, Anja Linder redécouvre à partir de 2006 le plaisir du pincer de cordes. Non sans difficulté.
Sous le regard bienveillant de Pierre-Michel Vigneau, professeur au conservatoire et soliste au Philharmonique de Strasbourg, cette "cinéphage" apprend pendant deux ans à retrouver ses repères, à maîtriser son "Anjamatique"et résoudre seule les problèmes posés par un instrument et un mécanisme qu’elle découvre.
Mais le plus dur reste d’affronter les doutes et le manque de confiance émis à son égard par les professionnels et organisateurs d’événements musicaux. "On ne me proposait presque plus de concerts où alors de manière quasi-bénévole." Une situation intenable pour quiconque vit de sa musique.
Son premier disque, sorti en 2008, auquel participe la célèbre harpiste Marielle Nordmann, lui redonne la crédibilité qui la fuyait depuis son accident. "Ce disque a prouvé que je pouvais encore me servir de mes doigts."
Anja Linder multiplie les invitations à se produire dans de grands festivals de harpe.
Plus encore que cette notoriété retrouvée, elle réalise enfin ses rêves. "J’ai toujours voulu jouer un concerto pour flûte et harpe de Mozart", affirme la jeune femme de 38 ans. Chose faite en 2012 avec l’orchestre lyrique d’Avignon lors d’une prestation réalisée en prison – "Un moment fort et inoubliable". En décembre de cette année, cette passionnée de théâtre jouera avec un chœur à l’église de Neudorf.
Aujourd’hui, ses journées sont occupées par l’enseignement qu’elle donne à l’école des arts du Rhin de Strasbourg. "Depuis septembre, une classe de Anjamatique a ouvert. Quatre élèves très motivés suivent mes cours et jouent sur ma harpe", rayonne Anja.
(*) Anja Linder a obtenu le 1er prix de harpe et de musique de chambre au Conservatoire de Strasbourg et le 1er prix au concours international de musique de chambre d’Arles en 1999 avec la soprano Nathalie Gaudefroy.
En concert ce dimanche 20 octobre à 16 h 30 à l’abbatiale de Marmoutier dans le cadre de l’animation Mélodies pour gourmets. ? 03 88 71 46 84.
Guillaume Eckert
© Dernières Nouvelles D'alsace, Edition de Saverne, Vendredi 18 octobre 2013 - Tous droits de reproduction réservés